XIXe -XXIe siècles
Après le volume sur 1816. Genèse de la Foi publique relatif aux années 1816-1848 où l’on voyait la naissance et l’affirmation d’un nouveau système politico-financier, l’intérêt se porte ici sur la tumultueuse seconde moitié du XIXe siècle. En France, le système financier traverse de profonds bouleversements politiques - la Révolution de 1848, la Guerre franco-prussienne de 1870-71 qui entraîne la chute du Second Empire et inspire les événements de la Commune, une crise financière (1882), une crise politique affectant la IIIe République (1892-1893), ainsi qu’une crise bancaire en 1914 - sans toutefois en être véritablement ébranlé. Il s’agit d’analyser les voies et moyens institutionnels, réglementaires, financiers, mais aussi politiques, idéologiques et culturels destinés à prévenir les crises et à assurer la pérennité de la Foi publique, clé de voûte de la confiance des épargnants dans le système des caisses d’épargne, adossé depuis 1837 à la Caisse des dépôts. La confrontation avec d’autres systèmes financiers européens (la Belgique et l’Italie), dotés d’institutions, d’acteurs et de pratiques différents, offre l’occasion de mesurer les écarts dans les comportements et de mieux comprendre la gestion des crises. Manière de confirmer que l’histoire financière bien comprise ne saurait ignorer ni les modes de construction politiques et institutionnels des États-nations ni les pratiques sociales et économiques des détenteurs de capitaux, petits et grands.
Du 1er octobre au 15 décembre 1856, la Revue de Paris publie dans six numéros consécutifs un roman inédit, Madame Bovary. Laurent Pichat, rédacteur de la Revue, a exigé de son auteur des coupes et censuré certaines scènes. Dès qu’il reçoit en avril 1857 son exemplaire de l’édition originale, Flaubert, désireux de pérenniser la bêtise du censeur, reporte une par une les corrections exigées et commente la suppression imposée. Il procède très minutieusement : au crayon d’abord – il met les passages concernés entre crochets, il barre d’un trait horizontal les fragments courts, d’une croix de saint André les plus longs – puis à l’encre, il encadre presque toujours le morceau visé et, quelquefois, repasse à la plume sur les rayures au crayon. Paradoxe de la rature, ce qui immédiatement saute aux yeux, c’est la violence de la mutilation. Et c’est presque une autre Madame Bovary que l’on découvre, une Bovary de bon goût, enfin acceptable, privée de son « immoralité » supposée.
Sans doute le premier écrivain à inscrire rétrospectivement dans le corps même du livre l’un des moments douloureux de sa genèse, Flaubert montrait volontiers cet exemplaire-témoin à ses amis. Par cette édition, son objectif est atteint : faire sortir la censure du cadre privé du manuscrit afin que la postérité puisse juger.
Chef-d’oeuvre lyrique de Victor Hugo, Les Contemplations connaît un tel succès dès sa parution en 1856 que la première édition s’épuise en quelques jours. Le présent ouvrage reproduit l’exemplaire que Hugo offrit alors à Auguste Vacquerie, son disciple et compagnon d’exil. Beau-frère de sa fille Léopoldine tragiquement disparue, poète, dramaturge, journaliste, Vacquerie développe un autre talent durant son séjour sur l’île de Jersey : celui de photographe. Il a enrichi son exemplaire de trente-deux épreuves photographiques qui ont fixé pour l’Histoire les décors, personnages et scènes du premier exil hugolien. Très méditée, la disposition des images dans le volume tisse un lien subtil avec les poèmes qu’elles illustrent.
L’ensemble du texte de l’édition originale des Contemplations ponctué par ces épreuves d’exil est ici rendu accessible pour la première fois. Au fil des pages de cet unique « exemplaire curieux », comme l’appelait Auguste Vacquerie, sélabore l’imagerie mythique de l’écrivain proscrit, campé dans les sites immenses qui insufflent sa création.
La postface d’Édouard Graham retrace les étapes de la publication initiale de ces « Mémoires d’une âme ». Elle jette aussquelque lumière sur l’exemplaire Vacquerie, ancêtre artisanal du livre illustré par des photographies.
présentation sous-collection: Depuis bientôt un siècle, la Librairie Droz publie des éditions critiques de référence avec la collection des "Textes Littéraires Français", qui a pour mission de donner accès aux textes fondamentaux du patrimoine littéraire de langue française. Grâce à une annotation précise, développée et originale, à de riches introductions, à des bibliographies et glossaires rigoureusement établis, les éditeurs scientifiques éclairent des œuvres éloignées historiquement, culturellement et linguistiquement du lecteur contemporain.
Inscrite comme sous-série des "Textes Littéraires Français", Littérales voudrait déplacer le regard critique vers les premiers lecteurs, les découvreurs d'une œuvre, voire les écrivains eux-mêmes.
Il ne s'agit pas de donner une simple reproduction anastatique d'un texte mais d’offrir l’édition la plus proche possible d’un exemplaire d’exception, s’entend pour sa valeur scientifique de témoin unique de son époque. Pour cela, le texte tel qu’il parut la première fois est respecté dans son format, sa composition, sa mise en page.
La Bibliothèque de Genève abrite, sous la cote « Arch. de Saussure 372 », un ensemble composite de notes de Ferdinand de Saussure constitué par feu Rudolf Engler après la découverte, en 1996, des manuscrits dits de l’Orangerie. Cet ensemble, qui contient essentiellement des notes de linguistique générale que Saussure avait lui-même rangées, au moins en partie, sous le titre de Science du langage, se caractérise par son état fragmentaire et par son relatif désordre. Outre ce lot très important pour connaître la doctrine du savant genevois, on trouve dans l’ensemble d’autres ébauches, dont les plus anciennes remontent aux années parisiennes du linguiste. Un lot à part contient des fragments de préparations de cours, dont l’un pourrait aussi dater des années parisiennes.
Par rapport aux autres, cette édition donne à lire des notes proprement linguistiques, un texte plus correct, accompagné en outre d’une annotation critique utile au spécialiste, mais qui n’empêchera pas la lecture continue du profane. La présentation par fragments numérotés, qu’une table de concordance permet de mettre en rapport avec la disposition jusqu’ici reçue, correspond mieux à l’état d’élaboration dans lequel l’auteur a laissé ces textes : on a tenté de réunir, par ordre croissant de perfectionnement rédactionnel, les fragments divers concernant un même sujet, et le tout dans une succession qui rende justice à la pensée de Saussure, telle qu’elle se dégage de ce qu’il enseigne ici lui-même.
De Ben Jonson à Patrick Chamoiseau, en passant par le marquis de Sade et Augusto Roa Bastos, nombreux sont les écrivains qui ont orné leurs textes de notes marginales. Depuis la Renaissance, romanciers, dramaturges, quelques poètes ont fait de l’annotation un dispositif stratégique censé afficher une orthodoxie – réelle ou feinte –, contrôler la réception du texte, voire marquer une dissidence à l’égard des discours dominants. Mais les enjeux de cette « prose notulaire » (Jean-Paul Richter) où s’objectivent à la fois un rapport à la tradition et une position idéologique, varient sensiblement du drame baroque allemand (Gryphius, Lohenstein) à la satire de l’érudition chère à Swift, de la fiction historique du XIXe siècle (Scott, Vigny) aux romans d’avant-garde comme House of leaves de Marc Danielewski.
Pour la première fois, les différents modèles de l’annotation littéraire, leurs filiations et leurs discontinuités, font l’objet d’une vaste enquête comparatiste qui en analyse la prolifération entre le XVIIe et le début du XIXe siècle, puis l’obsolescence et, enfin, la palingénésie contemporaine. La démarche adoptée par Andréas Pfersmann associe constamment les conditions historiques de production des oeuvres et les problèmes théoriques sous-jacents tels que le statut de la fiction. Il en ressort que les marges de la page imprimée apparaissent comme un lieu éminemment politique où la « fonction auteur » (Foucault) ne cesse d’être redéfinie, dans ses rapports complexes avec le texte, le champ littéraire, le public et l’infléchissement de la lecture.
Ferdinand de Saussure est sans nul doute le linguiste qui a été le plus fréquemment cité et commenté au cours du XXe siècle. Malgré son autorité, la pensée de Saussure demeure cependant mal comprise, en raison notamment des problèmes que pose laccès au corpus réel de son oeuvre: le Cours de linguistique générale rédigé par Bally & Séchehaye ne constitue qu’un reflet partiel et biaisé de la pensée saussurienne, pensée que l’on ne peut que tenter de reconstruire à partir de sesotes, de ses manuscrits inachevés et des carnets de ses étudiants. Les contributeurs à cet ouvrage sont engagés dans cette entreprise de reconstruction et les résultats de leurs travaux donnent de la théorie de Saussure une image transformée et approfondie. Ils démontrent la profonde cohérence d’une démarche ayant en permanence visé à élaborer une linguistique générale fondée sur l’étude empirique des langues, dans leur diversité et leur dynamique historique. Ils mettent en évidence aussi l’importance accordée par Saussure aux discours, ainsi que sa conception subtilement dialectique des rapports languesdiscours. Ils confirment encore le caractère révolutionnaire de sa conception du signe, qui réduit à néant les sémiologies conventionnalistes antérieures. Le projet saussurien s’avère de la sorte d’une réelle actualité, en ce qu’il fournit les bases pour la nécessaire réorientation de la linguistique, et propose de décisives directions pour une réunification des sciences de l’humain.
Contributions de: Marie-José Béguelin, Gabriel Bergounioux, Cristian Bota, Simon Bouquet, Jean-Paul Bronckart, Ecaterina Bulea, Jacques Coursil, Tullio De Mauro, Giuseppe D’Ottavi, Emanuele Fadda, Sung-Do Kim, Rossitza Kyheng, Kazuhiro Matsuzawa, Régis Missire, François Rastier, Estanislao Sofía.
Les écrivains romantiques sont confrontés à un double défi : maintenir intact, dans un monde toujours plus rationaliste mais en mal de sacré, la possibilité de l’enchantement, tout en offrant à des lecteurs avides de nouveauté un merveilleux sp©cifiquement moderne. Dumas relève ce défi en s’emparant de mythes contemporains comme le progrès illimité de la Science, la toute-puissance de l’Argent ou le charme de l’Ailleurs ; il modèle de façon décisive la figure du surhomme et il arpnte le terrain encore largement inexploré des états psychiques hors normes. Jouant un rôle central dans l’efficacité du récit, le merveilleux n’a pas seulement pour but de captiver le lecteur, il tend aussi à l’instruire et à l’émanciper : en ressuscitant magiquement une Histoire dont il dévoile le sens politique, et en créant un légendaire visant à célébrer et à fonder, Dumas guide son lecteur vers une société idéale que les pouvoirs prophétiques du surhomme font surgir ici et maintenant. Si l’œuvre dumasienne permet ainsi de renouveler l’approche du merveilleux, à une époque où il connaît de profondes mutations, réciproquement, cette catégorie littéraire met en lumière la cohérence et la complexité d’une œuvre de tout premier plan.
Ancienne élève de l’Ecole normale supérieure, agrégée de Lettres modernes et docteur en Littérature française, Julie Anselmini est maître de conférences à l’Université de Caen. Elle publie ici son premier ouvrage.